
Les essais nucléaires en Polynésie française
Comment la France a-t-elle reconnu ses responsabilités dans les essais nucléaires en Polynésie française ?
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L'église protestante
En Polynésie française, l’Eglise Protestante Maohi est la plus grande paroisse avec 60% de la population et possède ainsi un pouvoir sur la population polynésienne. En 1961, lors de la première réunion de la Conférence des Eglises du Pacifique, les pasteurs polynésiens se sont opposés aux essais effectués par les Américains sur les îles Marshall. Depuis, l’Eglise protestante de Polynésie n’a pas cessé de montrer son avis, en effet en 1963 elle s’est détachée de la Société Evangélique des Missions de Paris. L’Eglise Maohi ne considère pas l’arme nucléaire comme une arme de dissuasion mais bien comme une arme de destruction totale. Cette contestation repose sur plusieurs arguments tel que les dangers sanitaires, la peur de perdre une société traditionnelle avec l’arrivé massique des français mais aussi la perte de l’indépendance économique et politique du territoire. En effet, l’Eglise Maohi respecte les fondements théologiques du programme œcuménique « Justice, Paix et Sauvegarde de la Création ». C’est pourquoi, un missionnaire protestant, Jean Adnet, dès l’annonce de l’implantation du CEP, a réclamé une enquête publique « commodo incommodo » dans un article de presse paru dans le journal Le Lien. Le Pasteur y dénonce le manque de connaissances de la population sur la question des essais mais aussi l'amalgame du gouvernement qui a décelé une attitude anti-française et une volonté d'indépendance du territoire dans la contestation. Charles de Gaulle répond « Demandez à vos pasteurs de faire des prières pour que les Russes et les Américains cessent de faire des bombes. Dans ce cas la France n’en fera plus ». Avant de se prononcer publiquement sur les essais effectués, l’Eglise eu besoin d’un temps de réflexion et de maturation qui est tout d’abord passé par la formation des protestants polynésiens à la paix et à la justice. Le 6 août 1982, ce processus a abouti à une conscience publique du synode (assemblée religieuse) : « Devant le danger que représente le nucléaire sous toutes ses formes, le synode demande que cessent les expériences à Moruroa, que cessent les dépôts de déchets radioactifs dans le Pacifique, que cesse dans le monde la course au nucléaire ». Cette décision dans la lutte est en partie due à John Taroanui Doom, secrétaire général de l’Eglise Evangélique de Polynésie française depuis 1971 et directeur du Bureau Pacifique du Conseil Œcuménique des Eglises depuis 1989, a réussi à convaincre les Eglises d’occidents de soutenir financièrement la lutte anti-nucléaire. Ces actions ont poussé l’Eglise protestante à soutenir les actions des associations polynésiennes contre les essais nucléaires.
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L'église catholique
Quant à l’église catholique, le Pape Paul VI a approuvé le traité de Moscou. Cependant en 1982, l’archevêque de Papeete est allé au contraire de l’avis du Vatican : « L’Eglise est prudente quand il s’agit de science. Chacun son domaine. N’entrons pas dans une nouvelle affaire Galilée ! », certainement à cause de la pression exercée par le gouvernement. Néanmoins, le Père Victor et le Père Daniel évoquent la radioactivité des atolls et s’inquiètent des risques encourus par les populations. Les évêques de France se sont réunis à Lourdes et ont décidé que la dissuasion serait pour le moment, le moyen le moins dangereux d’éviter une guerre. Malgré cela, la hiérarchie catholique polynésienne est restée silencieuse alors qu’elle a certainement été la mieux informée sur les conséquences des essais aux alentours des terrains de tir. De plus les habitants y sont majoritairement catholiques. En effet, ces derniers ont refusé de se heurter directement au pouvoir d’une France de religion majoritairement catholique. D’autres associations chrétiennes prennent plus librement des initiatives comme l’Association chrétienne des jeunes filles et le Mouvement des étudiants chrétiens, qui en 1967, à Suva (capitale des îles Fidji) se sont rencontrés au sujet des essais nucléaires à Maohi Nui (Polynésie française).
De plus, les réseaux des Eglises permettent de favoriser les relations de la Polynésie avec le reste du Pacifique anglophone au sujet du nucléaire. En effet, en 1975 est créé le mouvement Nuclear Free Independant Pacific (NFIP), basé à Suva sur les îles Fidji. Cette association a vu le jour notamment grâce au couple Suède Danielsson, engagé contre les essais atomiques. La formation des militants s’est faite, la plupart du temps, par l’action conjointe des rencontres de la Conférence de Eglises du Pacifique et du NFIP.
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Associations Polynésiennes
Lors de l’implantation du CEP en Polynésie, la France a promis aux élus polynésiens d’aider au développement du territoire qui est, à cette période, en proie à des problèmes économiques et sanitaires. De plus, le gouvernement a voulu rassurer la population en exposant les rapports d’experts qui ont assuré la sécurité des essais. C’est pourquoi, au début des essais et au sein même du territoire, les protestations n’ont pas été fortes, bien au contraire malgré l’agitation mondiale. Il a fallu attendre 1973 pour que la lutte polynésienne prenne de l’ampleur, avec la manifestation du « Bataillon de la Paix » le 23 Juin 1973 qui a réuni plusieurs milliers de Polynésiens avec de députés français et des représentants des Eglises. A la tête de ce gigantesque cortège, Pouvanaa a Oopa sénateur et figure emblématique polynésien, il est appelé « Te Metua » « Le Père » ou « Le Sage » en Tahitien, et incarne le rêve de l’émancipation tahitienne après avoir été injustement emprisonné et exilé. C’est à la suite de ces événements qu’en 1973 est créée par des étudiants ainsi que Jacqui Drollet la première association environnementale du territoire : La ora te natura (protection de la nature). En effet, ces étudiants sont revenus de leurs études en France avec le désir d’agir politiquement pour Tahiti et ont pris conscience de l’originalité et de la richesse de leur culture par rapport à la France. Jacqui Drollet et Henri Hiro ont créé par la suite un mouvement politique à l’idéologie marxiste: Le Ia mana te nunaa (« Que le peuple soit au pouvoir ») en 1975. C’est le premier parti à aborder le concept de « hiroa tumu » (l’identité culturel en Tahitien) de la Polynésie. Ainsi, il prône que les droits politiques et sociaux des hommes doivent être accompagnés d’une justice fiscale en répartissant les impôts en fonction des revenus de chacun. En 1979, l’actuel président de l’association écologiste, Henri Hiro, demande qu’un référendum sur les essais nucléaires soit fait suite à son refus de cautionner le rapport de la nouvelle « mission d’enquête territoriale » qui a été très encadré par les autorités françaises mais sa requête est restée sans réponse. Plus tard dans l’année, l’association s’élève contre toutes les expérimentations, peu importe où elles se trouvent dans le monde.
C’est bien des années plus tard, suite à la publication de « Sans danger immédiat » de Rosalie Bertell, que l’association Tomite te rai hau a été formée en 1988, permettant aux contestations de prendre une dimension plus large. Cette nouvelle association rassemble des membres politiques, associatifs et de l’Eglise. Un mois après sa création, l’association publie le 6 août 1988 le résultat de ses réflexions sur les conséquences économiques, sociales, culturelles et sanitaires de l’implantation du CEP. En effet, les mutations positives liées au CEP (meilleure économie, augmentation du niveau de vie) entrainent des inégalités et menacent la cohésion de la communauté (drame de Faaite et émeutes portuaires le 23 octobre 1987). Elle met en avant les problèmes moraux, écologiques et sanitaires mais aussi ceux de l’héritage économique et politique de la Polynésie.
Pour finir, l’association demande à l’Etat français une consultation populaire sur la poursuite ou l’arrêt des expérimentations, et de respecter le souhait du peuple. Mais ces mesures n’ont jamais été entreprises. Dans les années 1980, les associations ont fait grand bruit sur la scène internationale, tout d’abord avec l’affaire du Rainbow Warrior de Greenpeace en 1985, puis avec le reportage de la BBC, « Tahiti Witness » en 1987 et enfin la brochure « Testimonies » du Dr Andy Biedermann qui réunit les témoignages d’anciens travailleurs polynésiens à Moruroa. En 1989 est créée l’association Hiti Tau par de jeunes militants dont Gaby Tetiarachi qui s’engage à créer l’après CEP en rendant les jeunes polynésiens acteurs du développement durable du Territoire, tout en contestant passivement les essais. Pour cela, l’association veut mettre en lumière les traités franco-polynésiens et les faire étudier par des juristes, retrouver sa culture, répandre son histoire, changer la politique exercée par l’état français sur le territoire.
Le 8 avril 1992, le Président français Mitterrand annonce un moratoire des essais. En effet, trois évènements décisifs au cours des années 1980 ont influencé cette décision : l’affaire du Rainbow Warrior en 1985, l’accident de Tchernobyl en 1986 remettant en cause l’innocuité des essais, mais aussi la chute du mur de Berlin en 1989 avec la chute de l’URSS, marquant la fin de la guerre froide. De plus, les actions de pression exercées par des organisations politiques et associatives polynésiennes et le succès de la campagne des Verts en France contre le nucléaire (mars 1992 14 % des suffrages aux élections régionales), ont préparé le terrain pour l’accord de ce délais. Cependant Jacques Chirac décide de les reprendre le 13 juin 1995, entraînant des contestations internationales et d’immenses émeutes à Papeete le 6 septembre 1995. Cependant, elles ont dérapé et se sont terminer par le saccage de l’aéroport de Faaa et le pillage de commerces à Papeete. De plus cette décision est arrivée à l’occasion de la commémoration des bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki, presque cinquante ans après, et est perçu comme une provocation. La nouvelle provoque l’incompréhension de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande mais aussi le boycott des produits français et de sévères critiques de personnalité comme du commandant Cousteau.
Durant cette période, alors que le monde entier s’est élevé contre la reprise des essais, le besoin d’entendre l’avis de ceux qui ont été les plus touchés par ces expérimentations se fait ressentir. C’est ainsi que l’association Hiti Tau avec l’aide d’organisations religieuses a permis de mettre en place l’enquête sociologique « Moruroa et nous » publié en 1997. Des sociologues hollandais, accompagnés de jeunes enquêteurs polynésiens, ont récolté les témoignages de 737 anciens travailleurs de Moruroa à propos de leur travail, mais aussi sur les expériences des habitants dans un rayon de 500km, l’étude sociologique révélant leurs histoires et leurs problèmes. Suite à cela, l’association Moruroa e tatou est créée en 2001. Elle a pour but de défendre les victimes des essais nucléaires auprès des autorités compétentes, d'obtenir le droit à l'information sur les conséquences sur la santé des essais, le droit à l’indemnisation et aux soins des victimes.

Photo de l'église protestante de Maohi
source: punaauia

Oscar Temaru en tête de la manifestation contre la reprise des essais à Moruroa de Papeete en 1995
source: moruroa memorial

Au départ de Faa'a. Rosalie Bertell, après une conférence sur les conséquences médicales des essais en 1985
source: moruroa memorial