
Les essais nucléaires en Polynésie française
Comment la France a-t-elle reconnu ses responsabilités dans les essais nucléaires en Polynésie française ?
Les modes d’exposition à la radioactivité
La radioactivité générée par les essais nucléaires de Moruroa a eu des conséquences sur l'humain et l'environnement.
Cela est dû à la contamination radioactive provoquée par la présence de substances radioactives dans un milieu tel que l'atmosphère, les surfaces de travail ou le matériel.
- Le dépôt sec se forme à partir de la dispersion du nuage radioactif lorsqu’il entre au contact des éléments radioactifs de l’air. Plus les atomes radioactifs sont nombreux plus la pollution de l’air est prolongée.
- Le dépôt humide se forme à partir des précipitations pluvieuses ou neigeuses. Les particules radioactives de l’air sont ainsi ramenées au sol, engendrant un dépôt plus fort que le précédent. De plus l’humidité permet aux radioéléments de pénétrer dans le sol laissant une contamination rémanente à l’origine d’un débit de dose ambiant. Une partie du dépôt va être déplacé par la pluie jusqu’à rejoindre les cours d’eau.
Les deux modes de dépots radioactifs
Ainsi ces dépôts provoquent plusieurs types de contamination :
-externe lorsque les substances radioactives sont déposées à la surface du corps.
-interne lorsque les substances radioactives sont absorbées et ont pénétré dans l'organisme par inhalation ou ingestion.
L'irradiation émise rentre aussi en compte puisqu'elle est liée à la contamination radioactive.
Lorsqu'une personne se trouve sur le chemin des rayonnements émis par des substances radioactives, on parle d'irradiation externe. Si la source radioactive se situe à l'intérieur du corps, il s'agit d'une irradiation interne.
Dépôts radioactifs : contamination durable-IRSN
Les conséquences sur l’homme et l’environnement des essais nucléaires de Moruroa
La radioactivité émise lors des explosions nucléaires s’est répandue dans l'environnement et les populations les plus proches de Moruroa ont été les plus touchées par les retombées.
Les radioéléments (substances radioactives) se fixent sur l’air, l’eau, le sol, la végétation et vont se propager par l’intermédiaire de la chaîne alimentaire. Ils ont une durée de vie pouvant aller de quelques secondes à plusieurs siècles. Plus de 1 000 radionucléides (atomes radioactifs pouvant se transformer en un autre atome) ont été libérés dans l’environnement dont le Césium 137 (Cs), le Strontium 90 (Sr), le Zirconium 95 (Zr) et l'Iode 131 (I).
Cependant, nous ne retrouvons que très peu d'informations, elles-mêmes très vagues, sur les conséquences néfastes liées à l'impact des retombées radioactives qui se font encore ressentir aujourd'hui.
Liste des principaux radionucléides constituant les retombées des essais d’armes nucléaires, classés par leur demi-vie :
source: IRSN
Sur l’homme :
Pendant les essais, certains hommes présents sur le site ont été victimes d’empoisonnement par ingestion d’aliments (poissons, œufs…) contaminés par les produits radioactifs.
En 2010, la reconnaissance par l’état de 21 pathologies radio-induites confirme que les particules radioactives microscopiques inhalées ou ingérées sont contaminantes et ont eu des conséquences néfastes sur la santé des personnes exposées.
Selon des études comparatives sur les cancers en Polynésie française avec les données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il s’avère que le taux de cancers a augmenté au cours des essais. On remarque notamment deux types de cancers plus importants : les cancers du sang et de la thyroïde. Les origines du cancer de la thyroïde sont dues aux méfaits de l’iode-131.
On note aussi des maladies de la peau, des maladies allergiques, cardio-vasculaires et rénales.
Des statistiques ont montré que la mortalité infantile a été particulièrement élevée, et concernait des enfants d’anciens travailleurs. Ces derniers ont déclaré avoir des enfants handicapés ou atteints de maladies graves (cancers, maladies cardiaques…).Une estimation de l’âge moyen du décès des anciens travailleurs a indiqué que l’espérance de vie des hommes polynésiens ayant travaillés entre 15 ans et 20 ans là-bas ont été inférieur à celle des autres hommes polynésiens.
Des scientifiques ont également mené des études sur les possibles modifications de l’ADN des personnes ayant été exposées.
Dose :
Dans l’hémisphère Nord la dose efficace moyenne est d’environ 4,4 mSv (millisievert), et de 3.1 mSv pour l’hémisphère sud. Elle mesure l’exposition au rayonnement pour chaque individu en prenant en compte la sensibilité des tissus affectés, elle est utilisée pour exprimer le risque d’une exposition radioactive et est ainsi utile pour la radioprotection. Il s'agit d'une dose calculée sur toute une vie. La dose efficace est composée de trois principaux atomes : le carbone-14 (70 %), le césium-137 (13 %) et le strontium-90 (3 %). L'ingestion contribue à 80 % de la dose totale. Cependant, les populations vivant près des sites ont été exposées à des retombées locales, recevant des doses plus élevées que celles exposées ci-dessus. Petit à petit la dose attribuée aux essais a lentement augmenté, partant de 1 millisievert (mSv) en 1966 à 1,5 mSv en 1978, et fini par se stabiliser.
Aujourd’hui en France, la dose efficace légale résultant des activités, hors médicales et naturelles, est de 1mSv.
Dose cumulée reçue attribuée
aux essais entre 1961 et 1978.
source: IRSN
La dose totale émise par les essais atmosphériques dans le monde répartie sur 5 milliards d'individus, correspond à 6.0 mSv par personne c’est-à dire deux années et demie d'exposition à la radioactivité naturelle.
En revanche, l’exposition à l’iode 131, responsable de la dose à la thyroïde, est plus rare car brève, alors que d'autres radionucléides contribuent faiblement mais de manière prolongée aux doses à la thyroïde. Ainsi, depuis le début des années 70, le césium 137 accumulé dans les sols est le principal composant de la dose à la thyroïde. Avec une valeur maximale de 1 millisievert en 1963 sur les régions les plus touchées, les doses à la thyroïde sont faibles au regard des doses efficaces.
Depuis 1974 soit la fin des essais atmosphérique, une diminution régulière des niveaux de radioactivité a été observée. Aujourd’hui, les traces des essais aériens à Moruroa sont encore détectables mais les doses annuelles sont largement en-dessous des valeurs autorisées depuis les années 1990. En effet, les études du césium 137 et des isotopes 238, 239 et 240 du plutonium montrent la stabilité de la concentration radioactive du sol. Cependant les sols de Tahiti, de Moorea, de Hao et des îles Gambier permettent d'identifier une source nucléaire d'origine militaire avec une concentration en césium 137 et en plutonium 238 et 239 dépassant 1 Bq/kg sec.
L'évolution de la dose annuelle liée à l'ingestion chez l'adulte : stable depuis la fin des années 1990 (l'écart observé en 2005 est lié à une activité particulièrement élevée en Césium 137 dans la viande de bœuf de Taravao).
Sur l’environnement :
Sur la faune et la Flore
A court terme :
Pendant les essais nucléaires, des millions de poissons ont été tués à cause de la radioactivité et d’autres ont été contaminés soit directement par exposition ou soit par ingestion de végétaux ou autres animaux eux même contaminés.
Suite à un essai, l’attente permettant le retour à l’activité normale dans le lieu des essais était de un mois. Ce retour à l’état normal était dû à la durée de décroissance des produits radioactifs.
Dans le domaine marin, une activité est décelée jusqu’à une dizaine de milles des atolls de Moruroa et Fangataufa ; la radioactivité ajoutée par les eaux des lagons en dehors de ces deux zones n’est pas perceptible dans les eaux océaniques polynésiennes.
Les conséquences géo mécaniques
A long terme :
Les puits creusés pour les essais souterrains ont fragilisé le sous-sol de l'atoll de Moruroa, bien qu’ils ont permis de limiter la diffusion des radioéléments. Aujourd'hui un risque d'effondrement est redouté. Ce glissement souterrain de roches provoquerait des lames de fond avec des vagues puissantes qui détruiraient certains atolls et pourraient faire de nombreuses victimes. De plus les radionucléides à période de vie longue enfouis dans le sous-sol peuvent s'échapper en cas de rupture du confinement, dans l'océan et contaminer une partie des poissons et ainsi la chaîne alimentaire tout entière.
Le nuage radioactif
Formation et dispersion du nuage radioactif :
Pendant l’explosion atomique, 35% de l’énergie est libérée sous forme de chaleur et 15% sous forme de rayonnement radioactif (rayon X et gamma). Suite à l’explosion d’un engin nucléaire, les produits de fission ainsi que les matériaux de l'engin, émettent des gaz chauds de faible densité. Portés à très haute température, ces gaz créés une sorte de bulle d’air incandescente d’environ 1km de diamètre appelé « boule de feu » qui peut atteindre plusieurs millions de degrés en son cœur. Une onde de choc, arrivant 20ms après l’explosion, est alors créée et se déplace à la vitesse de 1 000 km/h sur un rayon de plusieurs kilomètres, celle-ci déracine les arbres et détruit les bâtiments. C’est alors qu’un violent flash lumineux apparait suivi de violents courants d'air ascendants qui absorbent toutes sortes de débris finissant par former une colonne verticale. Puis des mouvements sous forme de tourbillons sont créés par des échanges thermiques entre ce nuage chaud et l'air ambiant plus froid, en effet l’air chaud est plus léger que l’air froid permettant d’élever la boule de feu. Associé à la colonne de débris, le tourbillon prend alors une forme de champignon.
Mais la dispersion des radionucléides dépend des conditions de tirs:
– les essais sur barge émettent des radionucléides dans la troposphère, dans la mer et le lagon.
– les essais sous ballon génèrent des particules plus fines, dans la stratosphère avec des retombées locales plus limitées.
La troposphère s’étend du sol à 10km d’altitude et la stratosphère s’étend de 10km à environ 50km d’altitude, elles correspondent aux deux premières couches de l'atmosphère.
De plus, les essais nucléaires atmosphériques de type atomique sont à l'origine de contamination radioactive toujours présente. Cependant, les bombes H, plus puissantes, ont provoqué moins de retombées, générant des neutrons qui émettent des produits d'activation comme le carbone-14 formé à partir de l'azote de l'air.
C’est pourquoi, en fonction des conditions du tir, c’est-à-dire sa puissance et son altitude, la tête du champignon reste dans la troposphère ou s'élève dans la stratosphère répandant des particules radioactives. Ceux-ci restent quelques heures à quelques mois, dans ces couches, avant de retomber au sol. La tête du champignon pénètre dans la stratosphère quand la puissance du tir dépasse 20 kT. Elle entre majoritairement dans la stratosphère à partir de 150 kT et atteint 25 km lors d’un tir de plus d’1 Mt. Les éléments radioactifs libérés dans la troposphère y restent 30 jours, transportés par les vents sur des milliers de kilomètres, jusqu’à ce qu’ils soient déposés sur le sol. Ainsi, les retombés troposphériques contiennent la plupart des radionucléides. En revanche, les radioéléments libérés dans la stratosphère vont y demeurer de 8 à 24 (pour les régions équatoriales) pour ensuite descendre dans la troposphère. Etant étendu sur une assez longue période, ce phénomène permet la disparition des radionucléides à vie courte. Ainsi les retombés radionucléides contiennent essentiellement les éléments à vie longue.
La vitesse d’ascension du nuage dépend de l'énergie de l'explosion et des conditions atmosphériques. Lorsque les gaz se refroidissent, la vitesse devient de moins en moins élevée. Par exemple, l'explosion de 1 Mt donne lieu à une vitesse moyenne de 400 km.h-1 pendant la première minute. Le nuage atteint sa hauteur maximale au bout d'une dizaine de minutes. Ce n’est qu’après avoir traversé la troposphère, qu’il se stabilise.
Ainsi, les essais atmosphériques ont été les plus néfastes puisque tous les radioéléments se sont évacués sous forme de nuages radioactifs. Ces derniers se déplacent tout autour du globe, emportés par le vent, et laissent des retombées un peu partout mais principalement sur les atolls proches de Moruroa.
Les services météorologiques ont un rôle important puisque c’est eux qui établissent les prévisions météorologiques permettant de prévoir la direction des vents afin d’éviter des retombées immédiates sur des zones habitées. Cependant, elles n’ont pas pu prévoir les effets secondaires dus aux vents de basses couches (situées entre le sol et 10 000 mètres) entraînant une partie des retombées sur la Polynésie entière. A l’époque, les météorologues ignoraient l’existence de ces basses couches, justifiant ainsi l’absence de précautions. Il existait également une autre sorte de retombées appelées retombées différées. Elles pouvaient contenir des radioéléments de durées de vie courte (iode-131) ou de durée de vie longue (césium-137) les rendant très dangereuses. En effet, elles affectaient ainsi les populations polynésiennes lorsque celles-ci étaient survolées par le nuage contenant ces retombées.
Cependant, une dizaine de tirs ont plus particulièrement affecté la Polynésie française, en effet des vents ont décalé la trajectoire prévue du nuage. Six essais contribuent majoritairement aux doses de radioactivité reçues par les populations. Il s’agit des zones de Aldebaran (2 juillet 1966), Arcturus (2 juillet 1967), Encelade (12 juin 1971), Phoebe (8 août 1971), Centaure (17 juillet 1974), les Gambier (consécutives à l’essai Rigel du 24 septembre 1966).
Libération des radionucléides dans l'atmosphère lors d’un essai nucléaire
Source: IRSN
Le cas de l’essai CENTAURE
Le 17 Juillet 1974 un tir sous ballon d’une puissance de 4 kilotonnes, nommé CENTAURE, est effectué en atmosphère sur l’atoll de Moruroa. En 1998, il est prouvé que cet essai a eu des retombées radioactives sur l’île de Tahiti qui compte plus de 90 000 habitants en 1974. Les effets de ce tir sont repérables sur les analyses faites entre le 19 Juillet et le 21 Juillet. Ci-dessous un tableau qui réunit les doses radioactives relevées sur Tahiti. Chaque valeur est la valeur maximale relevée sur l’île :
Type des relevés Valeurs maximales relevées
Dans l’air (activité volumique) 520 Bq/m³
Dépôts (activité surfacique) 2 075.10^7 Bq/m²
Eaux (activité volumique) 7 061 Bq/l
Concentration d’iode 131 dans le lait (activité volumique) 1 150 Bq/l
Dose efficace par inhalation 2 mSv
Dose à la thyroïde par inhalation 25 mSv
Dose par irradiation externe 1.06 mSv
Dose efficace par ingestion de lait des nourrissons 4.2 mSv
Dose à la thyroïde par ingestion de lait des nourrissons 40 mSv
Total dose efficace (enfant de 1 à 2 ans) 5.2 mSv
Total dose efficace (adulte) 3.6 mSv
Total dose interne à la thyroïde (enfant de 1 à 2 ans) 49 mSv
Total dose interne à la thyroïde (adulte) 16 mSv
L'activité volumique est la concentration des éléments radioactifs dans un liquide ou un gaz. Elle se mesure en Bq/m : une désintégration par seconde par mètre cube de gaz ; et en Bq/l : une désintégration par seconde par litre de liquide.
L'activité surfacique est la concentration des éléments radioactifs déposés sur une surface. Elle se mesure en Bq/m² : une désintégration par seconde par mètre carré de surface.
Les enfants d’un à deux ans sont dans la classe d’âge la plus radiosensible, c’est pourquoi leur contamination a été plus importante que pour les adultes. En effet, l’iode-131 est un isotope radioactif libéré lors de l’explosion d’un engin à fission et possède une durée de vie de 8 jours. Pendant cette courte période, il a le temps de pénétrer dans l’organisme humain plus précisément dans la thyroïde qui absorbe l’iode, pour son fonctionnement, sans faire de distinction entre l’iode radioactif et l’iode naturel, la dose à la thyroïde mesure l’exposition au rayonnement de l’iode 131 de la thyroïde. C’est ainsi que proportionnellement la thyroïde plus petite des enfants absorbe plus d’iode radioactif. Ainsi, les retombés étant arrivés seulement deux jours après l’essai, l’iode 13 n’a pas eu le temps de disparaitre et contamine la population et plus particulièrement les jeunes enfants.
Ainsi, il est indéniable que les essais atmosphériques en Polynésie ont provoqué l’augmentation de la dose efficace normale. L'effet des retombées est moins fort qu’auparavant et continu de diminuer. En effet, les radionucléides à vie courte ont disparu rapidement, mais ceux vie plus longue, tels que le césium 137, ont été stockés dans le sol et diffusés dans les végétaux que nous mangeons.






