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        Suite aux bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki, le mouvement antinucléaire naît. La contestation, centrée sur le nucléaire militaire, vient de la communauté scientifique mais aussi politique. En France est créé en avril 1948, les Combattants de la Liberté, qui deviendront en 1951 le Mouvement de la Paix. Issu de la Résistance, ce mouvement pacifiste participe aux conférences mondiales. En mars 1950, l'Appel de Stockholm de Frédéric Joliot-Curie, scientifique français Président du Conseil mondial de la Paix,  exige l’interdiction de la bombe nucléaire dans le monde. Cette campagne rencontre un véritable succès populaire, recueillant officiellement 15 millions de signatures (plus vraisemblablement une dizaine de millions) en France.

 

  • La lointaine Polynésie

 

A l’annonce de la création du plus grand centre européen du lancement de fusée en Polynésie en juillet 1963, le journal local « les débats » se félicite des retombées économiques de l’arrivée des 3 000 techniciens de la métropole. Seules ombres au tableau l’afflux probable d’immigrants des îles marquises attirés par cette prospérité et la hausse des prix qui ne devra pas creuser les inégalités. La question des conséquences des tirs n’est même pas effleurée. Même la signature par plus de 100 états en août 1963 d’un traité d’interdiction partielle des essais nucléaires, ne retarde pas l’installation du Centre d’Expérimentations du Pacifique en vue de la préparation du premier essai français. La France manifeste son intention de rester à l’écart.

 

         A la veille du premier essai aérien nucléaire en Polynésie, le 2 juillet 1966,  les actualités diffusent des images stéréotypées de Tahiti (vahiné et musique traditionnelle). L’évènement passe presque inaperçu. Un fonctionnaire interviewé commente «  L’homme de la rue pense que [….] toutes les précautions ont été prises pour qu'il n'y ait rien à Tahiti ».  

 

  • Une nouvelle conscience

 

Les premières consciences ne s’éveillent qu’en 1968, lorsque le programme d’essais nucléaires permet à la France d’acquérir la bombe H. Bien entendu, ceci n’est pas sans lien avec les mouvements pacifistes. En effet,  en mai, deux sous-officiers de l’Aéronavale de Hao font acte d’objection de conscience, puis en novembre, à Fangataufa, quelques jeunes du service militaire se mettent en grève. L’ordre règnera cependant. Les « réfractaires » seront soit éliminés de l’Armée, soit mis au pas.

Quelques parlementaires tels que Francis Sanford ou John Teariki dressent un véritable réquisitoire contre les essais nucléaires. Les bulletins du Here Ai’a comportent des articles très hostiles au CEP.

Lorsque le général de Gaulle est venu assister à un tir en septembre 1966, J. Teariki a lu devant lui un texte écrit par H. Bouvier très virulent. Il lance ainsi :


« Puissiez-vous, Monsieur le Président de la République, appliquer en Polynésie française, les excellents principes que vous recommandiez, de Phom Penh, à nos amis américains, et rembarquez vos troupes, vos bombes et vos avions. Alors, plus tard, nos leucémiques et nos cancéreux ne pourraient pas vous accuser d’être l’auteur de leur mal. […] Vous donneriez au monde un exemple digne de la France […] en conviant tous les peuples de la terre à devenir ses Compagnons de la libération du Monde » 

 

L’assemblée s’indigne régulièrement des incidents liés à la présence de légionnaires ou de soldats en permission dans les bars de Papeete .

Mais, c’est dans les années 1970 que le mouvement antinucléaire prend de plus en plus d’ampleur et  rassemble une population paysanne, artisanale, urbaine, engagée contre le nucléaire pour défendre un lieu de vie et un environnement.

Ces luttes reçoivent dans le même temps le soutien de nombreux scientifiques, ingénieurs, journalistes, à l’image de Pierre Fournier, l'un des premiers anti-nucléaires qui créé en 1972 la Gueule Ouverte  Combat non-violent., un journal écologique et politique ; d’André Gorz journaliste et philosophe à l’Observateur, d’Alain Hervé journaliste et fondateur de la branche française des Amis de la Terre (ONG) avec son journal le Courrier de la Baleine, du philosophe Jean-Marie Muller fondateur du MAN (Mouvement pour une Alternative Non-violente).

 

Une de 1974 du journal la gueule ouverte  Source:free.fr

 

  • De contestations plus fortes

 

En Polynésie, les leaders politiques s’affrontent. La lutte contre les essais est étroitement mêlée à la revendication autonomiste. En juillet 1973, les deux parlementaires, F. Sanford et Pouvanaa a Oopa, expédient un télégramme au président de la République, menaçant de demander un référendum sur l’indépendance du Territoire.

 

Les contestations, restées jusqu’alors non violentes, prennent en 1977, un autre tournant. Une poignée de militants du « commando Te toto tupuna » choisit de « marquer le coup » par un acte de violence. Le groupe dynamita les abords de la poste de Papeete sans faire de gros dégâts. L’affaire dégénéra par la suite avec l’assassinat d’un fonctionnaire métropolitain.  Puis, le commando ayant été arrêté, les militants déclenchèrent une émeute à la prison de Nuutania qui se solda par la mort par balles de deux militants.

 

Cette action conduisit à une impasse. Charlie Ching, neveu de Pouvanaa a Oopaest désigné comme le meneur du commando qui fut transféré dans une prison de la région parisienne. Leur procès, délocalisé en France, déclencha en métropole un mouvement de solidarité qui attira l’attention de l’opinion publique française sur les essais nucléaires en Polynésie.

Des avocats de renom, membres de la Ligue des droits de l’homme – Jean-Jacques de Félice, Michel Tubiana et François Roux - assurèrent leur défense qui fut, de ce fait, très médiatisée. Parcourant la France avec un film très évocateur de la situation en Polynésie « Tahiti, derrière le rideau de fleurs » ils éveillèrent les consciences et contribuèrent à informer les militants français.

Cette conjonction d’événements cristallisa la création d’un nouveau réseau qui allait désormais conduire la lutte contre les essais nucléaires français à Moruroa.

 

  • L'organisation des protestations

 

 D’un côté, la mouvance française non-violente avec Marie-Pierre Bovy et la Communauté de l’Arche de Lanza del Vasto créait, en lien avec le CDRPC de Lyon, la coalition d’ONG Stop Essais et de l’autre, John Doom depuis Genève et Madeleen Helmer des Pays-Bas créaient le réseau « Europe Pacific Solidarity ». 

 

Dès 1989, le réseau « Europe Pacific Solidarity » a organisé des rencontres avec les associations et les mouvements d’Eglises du Pacifique. A chaque « séminaire » annuel, la question des essais nucléaires à Moruroa était au programme. Stop Essais et les mouvements français organisèrent un premier colloque en 1990 dans les locaux de l’université de Créteil. La même année, le CDRPC envoyait Bruno Barrillot en Polynésie pour une mission de deux mois financée par Greenpeace, puis d’autres suivront grâce au soutien de fondations américaines et du Conseil Œcuménique des Eglises.

 

Le mouvement antinucléaire s’indigne sur le sort de la Polynésie Française, Jean Rostand dit : « Les expériences nucléaires par lesquelles on va permettre de traiter en cobayes des hommes qui ont la malchance d’habiter un archipel lointain ». Cependant la « désinformation » et la distance entre la Polynésie et la France ont contribué à la faiblesse des contestations populaires.

 

L’association Greenpeace a été le principal moteur de la lutte antinucléaire en Polynésie en programmant des actions directement sur le terrain. Créée en 1972 (avant « Don’t make a wave comittee»1971), Greenpeace, est une organisation non-gouvernementale de protection de l’environnement, luttant pacifiquement contre ce qu'il estime être les plus grandes menaces pour l’environnement et la biodiversité de la planète. Ses missions se caractérisent par des actions sur le terrain, sans-violence mais très médiatisées.  La première mission effectuée par Greenpeace à l’encontre des essais  nucléaires français est celle menée par David Mc Taggart qui met son bateau, Le Vega, à la disposition de celle-ci. En Juin 1972, le navire (renommé Greenpeace III) arrive dans un zone interdite aux alentours de Moruroa, son but étant d’entraver la prochaine expérimentation, mais le navire est  arraisonné et les membres d’équipages arrêtés. Cependant, Mc Targgart est battu et perd l’usage d’un œil pendant plusieurs mois. Mais, l’incident a été photographié et médiatisé, pour taire l’affaire et stopper la pression internationale, la France accepte d’arrêter les essais en atmosphère.

 

         Une autre opération majeure est menée par Greenpeace en  1985, c’est l’affaire du Rainbow Warrior. Le 10 Juillet 1985, le navire amiral de Greenpeace se trouve au port d’Auckland (Nouvelle-Zélande), cependant, le navire coule suite à deux explosions où un photographe, Fernando Pereira trouve la mort. Le « couple Turenge » est arrêté mais ils sont en réalité le Capitaine Prieur et le Commandant Mafart, deux agents de la DGSE. L’attentat a été commandité par le gouvernement français et plus particulièrement par le ministre de la Défense (Charles Hernu). Mis en lumière dans le monde entier par  Le canard enchaîné, l’affaire a donné à l’association encore plus de force et de détermination pour accomplir son devoir. Mais suite à une campagne de désinformation en montrant Greenpeace comme un agresseur manipulé par l’ennemi (URSS), l’organisation est  coupée de son public français.

 

En avril 1992, François Mitterrand, Président de la République française décide un moratoire sur les essais nucléaires en Polynésie ; malgré les objections des ingénieurs de la bombe.

 

  • Un événement décisif

 

L’élection présidentielle de mai 1995 allait provoquer un nouvel épisode dans l’histoire des essais nucléaires français. A peine arrivé au pouvoir, Jacques Chirac annonçait la reprise des essais à Moruroa.

 

« Je peux vous dire qu'ils ont été unanimes pour m'indiquer que, si nous voulions assurer la sûreté, la sécurité et la fiabilité de nos forces de dissuasion sur lesquelles reposent notre défense et notre indépendance, si nous voulions passer au stade de la simulation en laboratoire (...), nous étions obligés d'achever cette série d'essais nucléaires.» Extrait du discours télévisé de Jacques Chirac
 

Des manifestations se déroulent à Papeete, à l’appel notamment de mouvements indépendantistes polynésiens. Rapidement, le rassemblement va tourner à l’émeute. A l’aéroport, un avion est pris d’assaut, les policiers sont débordés et molestés. Le centre-ville est saccagé. « C'est le résultat de Chirac, c'est de sa faute ! », déclare un manifestant. « Pourquoi Chirac vient mettre la bombe ici ? Pourquoi pas en France ? » renchérit un autre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Greenpeace prend part aux protestations, en envoyant son navire amiral, le Rainbow Warrior II au côté du navire le  Greenpeace à Moruroa. La première fois, il entre le 9 Juillet 1995 dans la zone de Moruroa  où des commandos de la marine française prennent d'assaut le navire, les membres d’équipages sont arrêtés et subissent un interrogatoire. L'attaque du bateau par la marine française sera diffusée en direct, la violence émanant de ces images provoque un tollé international. Puis le bateau part pour les îles Fidji, poursuivre sa campagne auprès des gouvernements du Pacifique Sud. Le navire amiral à rendez-vous avec une "Flottille de la paix" fin août près de Moruroa, pour une énième action.

 

A Tahiti, des personnalités du monde entier défilèrent aux côtés des Polynésiens. Pour la première fois, les membres du synode de l’Eglise Protestante prirent part au défilé de protestation dans les rues de Papeete.

 

Mais loin de se limiter à la Polynésie française, en France, la gauche socialiste, oubliant dix ans de mutisme, prend fait et cause contre la reprise des essais et réclame un référendum. Le tollé est mondial entrainant des manifestations écologistes avec pour certains pays un appel au boycott des produits français.

 

Le gouvernement tient bon et après 6 essais, la dernière expérimentation se fait dans la nuit du 27 au 28 janvier 1996.

La France signe le 24 septembre 1996, le traité d’interdiction complète des essais nucléaires.

Commence alors, l’ère de la réparation avec le temps de la reconnaissance des victimes et des conséquences sur l’environnement.

 

 

Cortège de la manifestation du Bataillon de la Paix à Papeete (26 juin 1973)

source: moruroa memorial

Badge contre la reprise des essais nucléaires en 1995

source: moruroa memorial

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